Le 14 novembre 2024, lors de son événement annuel “Les Dialogues du Tourisme Équitable”, l’Association pour le tourisme équitable et solidaire (ATES) a organisé à Paris une table ronde portant sur le thème : Tourisme équitable et rapports de pouvoir : réduire ou accentuer les inégalités ? Cet échange, regroupant des intervenants issus de divers horizons, visait à analyser les rapports de pouvoir dans les pratiques de solidarité internationale, notamment dans le tourisme solidaire, et à proposer des pistes pour un avenir plus équitable.
UNE EVOLUTION DES PRATIQUES POUR MIEUX REPONDRE AUX ENJEUX ACTUELS
Depuis deux décennies, les secteurs liés à la solidarité internationale, notamment le tourisme équitable, ont dû s’adapter à des problématiques de plus en plus complexes. Les rapports de domination entre le Nord et le Sud, les inégalités économiques, les questions de genre et les défis interculturels figurent parmi les enjeux cruciaux auxquels ces acteurs doivent faire face. Ces problématiques appellent des réponses nuancées et adaptées pour promouvoir des pratiques plus égalitaires et émancipatrices pour les « bénéficiaires » et « partenaires » locaux.
L’objectif principal de cette table ronde était de mettre en lumière les différentes approches adoptées par les voyagistes du tourisme équitable, tout en établissant des parallèles avec d’autres secteurs comme le commerce équitable ou le volontariat international, confrontés à des défis similaires.
FAIRE DIALOGUER DES INTERVENANTS ISSUS DE PLUSIEURS SECTEURS DE LA SOLIDARITE INTERNATIONALE
Pour nourrir le débat, l’ATES avait convié plusieurs intervenants :
- Mélanie Geneste, représentante de Terres des Andes, un voyagiste labellisé Tourisme équitable ;
- Laurent Besson, représentant de Vision du Monde, également labellisé Tourisme équitable ;
- Victoire Caila, responsable du Programme Genre chez Commerce Équitable France ;
- Clarisse Bourjon, cheffe du Service Reconnaissance et Valorisation de France Volontaires.
La table ronde était animée par Othmane Chaouki, responsable de programmes au F3E, qui a brillamment guidé les discussions.
Les intervenants ont partagé leurs expériences et leurs stratégies pour rééquilibrer les rapports de pouvoir dans leurs pratiques professionnelles.
RECONCILIER NON-INGERENCE ET TRANSFORMATION SOCIALE
Un des principaux défis pour les voyagistes engagés dans le tourisme équitable réside dans la nécessité de respecter les dynamiques locales tout en favorisant une plus grande inclusion sociale. Cette tension entre la non-ingérence et la volonté de transformer les structures sociales est au cœur des discussions.
Les intervenants ont mis en avant l’importance de ne pas imposer des modèles préconçus. Il est crucial de coconstruire les projets avec les communautés locales, en prenant en compte leurs besoins et aspirations. Les critères du Label Tourisme Equitable reflètent cette démarche : ils insistent sur la priorité accordée aux acteurs locaux dans la prise de décisions et l’organisation des activités. Une piste de solution évoquée par les intervenants est une collaboration renforcée des voyagistes avec les organisations locales qui militent pour le changement social et environnemental. Ainsi, le tourisme équitable soutient les initiatives locales pour le changement, au lieu d’imposer la vision des voyagistes.
DES PRATIQUES ADAPTEES AUX CONTEXTES LOCAUX
Le tourisme équitable repose sur une approche collaborative, issue du mouvement du commerce équitable, mettant les partenaires locaux au centre des projets. Certains modèles prônent une relation horizontale, où les acteurs locaux conservent un contrôle total sur les décisions stratégiques. D’autres favorisent le transfert de compétences, dans le but de renforcer l’autonomie économique et organisationnelle des communautés. Dans tous les cas, l’objectif est de trouver un équilibre entre accompagnement et respect des initiatives locales. Qu’il s’agisse de volontariat international éthique ou de commerce équitable, la nécessité d’une co-construction et d’une réciprocité dans les rapports avec les pays partenaires, pour que le partenariat avec les acteurs locaux devienne un levier du changement sociétal, pas seulement dans les destinations, mais aussi en France.
UNE PRISE EN COMPTE ACCRUE DES INEGALITES DE GENRE
Les inégalités de genre représentent un enjeu transversal. Dans de nombreuses régions, les femmes sont sur-représentées dans les activités touristiques mais sont sous représentées dans la prise de décision. L’accueil des voyageurs est un travail domestique qui, s’il est valorisé dans le cadre de la participation au tourisme équitable, ne conduit pas automatiquement à une plus grande émancipation des femmes. Favoriser leur inclusion demande des actions concrètes et une vigilance durable de la part des voyagistes, allant bien au-delà d’une reconnaissance symbolique (lien vers article tourisme et inégalités femmes-hommes).
REEQUILIBRER LES RAPPORTS DE POUVOIR ENTRE VOYAGISTES ET PARTENAIRES
Les relations entre voyagistes et partenaires locaux peuvent être asymétriques, notamment en raison de la dépendance financière des seconds vis-à-vis des premiers. Une situation que l’on retrouve dans plusieurs secteurs de la solidarité internationale. Pour réduire ces inégalités, il est indispensable de promouvoir une communication ouverte et transparente. Cela passe par la définition d’attentes claires, mais aussi par des garde-fous pour que l’accueil de voyageurs reste une activité économique secondaire des hôtes, évitant ainsi de rendre les communautés d’accueil dépendante du tourisme.
Les voyagistes doivent également éviter d’imposer leur vision, les critères du Label Tourisme Equitable les incitant plutôt à construire des solutions avec les partenaires locaux. Cette approche permet de créer des projets adaptés aux réalités du terrain tout en respectant les dynamiques sociales et culturelles.
CONSEILS POUR LES VOYAGISTES
Pour prévenir les déséquilibres dans les relations entre voyagistes et partenaires, six bonnes pratiques ont été identifiées :
- Transparence et communication ouverte : établir des attentes claires et mutuelles sur les objectifs, rôles et responsabilités de chaque partie.
- Renforcement des capacités locales : investir dans la formation et l’autonomisation des partenaires locaux, notamment via le fonds de développement (lien vers l’article sur le fonds de développement)
- Questionnement sur ses propres pratiques : les dynamiques d’inégalités et les rapports de pouvoir ne sont pas seulement présentes chez les partenaires locaux, mais chez le voyagiste également, comme dans toute organisation humaine. Des formations, comme celles dispensées par Commerce Equitable France, peuvent permettre à tous les acteurs du commerce équitable d’en prendre conscience.
- Mise en place d’outils participatifs : intégrer les partenaires locaux dans la prise de décision grâce à des mécanismes inclusifs.
- Adaptation aux dynamiques locales : respecter les contextes sociaux et culturels sans imposer de modèles préétablis.
- Sensibilisation des voyageurs : celle-ci doit inclure non seulement une initiation aux us et coutumes locaux, mais faire également prendre conscience aux voyageurs des rapports de pouvoir présents dans la société qu’ils s’apprêtent à visiter, et de ceux qui peuvent s’exercer entre les touristes et leurs hôtes.
Ces efforts contribuent à transformer les voyageurs, les voyagistes et leurs prestataires dans les destinations en acteurs du changement et à faire du tourisme un levier de justice sociale. Une meilleure harmonisation des pratiques et un renforcement des critères du Label Tourisme Equitable pourraient accroître la cohérence du secteur. Les intervenants ont également souligné l’importance d’une reconnaissance institutionnelle accrue et d’un soutien financier pour garantir la pérennité des initiatives.
> Télécharger le programme des Dialogues 2024
L’ATES bénéficie du soutien financier de l’Agence Française de Développement