Tourisme équitable et institutions publiques : entre alliances et autonomie

7.01.25 | Actualités

Le 14 novembre 2024, lors des Dialogues du Tourisme Équitable organisés à Paris par l’Association pour le tourisme équitable et solidaire (ATES), une table ronde s’est penchée sur une question essentielle : comment les acteurs du tourisme équitable peuvent-ils collaborer avec les institutions publiques tout en préservant leur indépendance ? Sous le thème « Agir avec ou en marge des politiques publiques », cet événement a réuni quatre intervenant(e)s issus de divers horizons :

  • Patrick Wasserman, représentant de Rencontres au bout du monde, voyagiste labellisé Tourisme Equitable ;
  • Nathalie Turbé, représentante de TDS Voyage, également voyagiste labellisé Tourisme Equitable ;
  • Claude Travaillé, représentant d A Tibo Timon, également voyagiste labélisé Tourisme Equitable ;
  • Gwenn Prévôt, porte-parole de l’ONG Tetraktys, active dans le développement touristique et la préservation du patrimoine.

UN RAPPORT AMBIVALENT AVEC LES INSTITUTIONS PUBLIQUES

Dès l’introduction, un paradoxe a été souligné : bien que le tourisme équitable reçoive le soutien de l’Agence Française pour le Développement et que la Loi Climat et Résilience de 2021 prévoie une reconnaissance officielle des labels de commerce équitable, cette forme de tourisme reste largement marginale dans les politiques publiques internationales. Ces dernières favorisent encore un tourisme conventionnel, jugé plus rentable à court terme, et davantage pourvoyeur d’emplois.

Les intervenant(e)s ont mis en avant des relations complexes avec les institutions locales et nationales dans leurs zones d’intervention. Certains considèrent ces institutions comme des alliés stratégiques pour maximiser leur impact. D’autres, cependant, critiquent les lourdeurs administratives, la corruption et une vision productiviste du tourisme, souvent incompatible avec les principes équitables.

Par ailleurs, bien que les stratégies touristiques locales incluent de plus en plus des notions de durabilité, elles visent encore majoritairement à augmenter le nombre de visiteurs et les devises générées, sans soucis d’équité ou de participation des habitants à la prise de décisions. Certaines initiatives, comme les marques territoriales de tourisme communautaire, illustrent une volonté de reconnaître les initiatives des organisations locales et de promouvoir un tourisme alternatif. Cependant, ces projets dévient parfois de leurs objectifs initiaux pour servir des intérêts de marketing territorial, à l’écart des enjeux de justice sociale.

 

DES STRATEGIES POUR COLLABORER SANS SE COMPROMETTRE

Face à ce dilemme, les acteurs du tourisme équitable déploient diverses stratégies pour coopérer avec les autorités tout en préservant leurs valeurs.

Pour naviguer entre opportunités et contraintes, les organisations du tourisme équitable adoptent des stratégies variées. L’une des priorités est de s’intégrer dans les dynamiques locales. Les intervenants et les intervenantes ont partagé des exemples de collaborations fructueuses avec les autorités locales, permettant de mobiliser des ressources tout en maintenant un contrôle communautaire sur les bénéfices. Cependant, ces partenariats nécessitent une vigilance constante pour éviter des dérives, comme l’accaparement des ressources par des élites locales, ou encore la corruption.

La transparence et la contractualisation des partenariats jouent un rôle central. Des mécanismes de suivi, impliquant les communautés bénéficiaires, ainsi que les audits associés au Label Tourisme Équitable, contribuent à limiter les abus. En outre, des efforts sont déployés par les voyagistes pour sensibiliser les autorités locales aux principes du tourisme équitable.

SOUTENIR LES INITIATIVES LOCALES : UN CRITERE INCONTOURNABLE DU TOURISME EQUITABLE

Les intervenant(e)s ont insisté sur l’importance de renforcer les capacités des populations locales à concevoir et gérer leurs propres initiatives touristiques. Le fonds de développement permet ainsi aux organisations communautaires locales qui reçoivent les voyageurs de se former pour une meilleure gestion et une meilleure structuration juridique de leurs projets.

Plusieurs exemples ont illustré ces approches : des coopératives locales gérant des hébergements, des circuits touristiques valorisant le patrimoine immatériel, ou encore des systèmes de redistribution équitable des revenus. Ces actions favorisent non seulement l’autonomie économique des communautés, mais également leur résilience face aux pressions extérieures, comme l’urbanisation ou la spéculation foncière.

Cependant, ces initiatives rencontrent parfois des obstacles. Certaines autorités locales, motivées par des projets plus lucratifs mais moins respectueux de l’environnement, opposent une résistance. Les acteurs du tourisme équitable doivent alors déployer des stratégies de négociation. Parfois, la coopération internationale, comme dans le cadre de projets cofinancés par l’Agence Française de Développement, ou dans le cadre de la coopération décentralisée, permet de rallier les autorités publiques au projet de tourisme équitable.

 

L’EQUILIBRE DELICAT ENTRE RENTABILITE ET DURABILITE

Un défi majeur pour le tourisme équitable réside dans l’équilibre entre rentabilité économique et durabilité sociale et environnementale. Contrairement au tourisme conventionnel, axé sur des gains financiers immédiats, le tourisme équitable favorise des modèles à long terme, plus résilients, moins destructeurs pour les cultures et les économies locales, mais loin de la manne financière promise par certains gouvernements.

Pour convaincre les décideurs, les acteurs du secteur s’emploient à démontrer que la gestion communautaire d’une attraction touristique, conforme aux principes de l’économie sociale et solidaire, génère des retombées économiques plus durables et mieux réparties. Ils plaident également pour un changement de paradigme : le succès d’un projet touristique ne devrait plus être mesuré uniquement par le nombre de visiteurs, mais aussi par son impact social et environnemental.

SOUTENIR LES LUTTES SOCIALES

Un aspect souvent méconnu du tourisme équitable est son implication dans les luttes sociales. Plusieurs intervenants ont partagé des expériences où ils ont soutenu des communautés dans la défense de leurs droits face à des projets d’accaparement des terres ou d’atteinte à l’environnement. Ces collaborations exposent parfois les communautés à des risques de représailles. Pour réduire ces dangers, les acteurs du tourisme équitable adoptent une approche discrète mais efficace, valorisant les initiatives locales sans mettre en péril leurs leaders. En parallèle, la dimension internationale du tourisme équitable peut servir à mettre en lumière des revendications sociales ou environnementales, comme celles de certains peuples autochtones pour la gestion de leurs territoires.

INTEGRER LE TOURISME EQUITABLE DANS LES POLITIQUES PUBLIQUES

Certains projets de tourisme équitable ont réussi à s’intégrer dans les politiques publiques locales. Ces succès sont souvent le résultat d’une approche participative où les acteurs publics et privés travaillent de concert avec les communautés. Cependant, de telles intégrations restent rares.

Les intervenants ont appelé à une meilleure reconnaissance institutionnelle du tourisme équitable, notamment via des cadres réglementaires favorisant son développement. Parmi les recommandations formulées figurent :

  1. La reconnaissance officielle des labels de commerce équitable, dont le Label Tourisme Equitable ;
  2. La mise en place de mécanismes de financement adaptés ;
  3. L’utilisation d’indicateurs de succès basés sur les impacts sociaux et environnementaux ;
  4. La formation des décideurs locaux aux enjeux du tourisme équitable.

En agissant ainsi, les gouvernements peuvent non seulement renforcer l’impact du tourisme équitable, mais aussi répondre aux attentes croissantes des voyageurs en quête d’expériences humaines authentiques et respectueuses.

 

UN AVENIR PROMETTEUR POUR LE TOURISME EQUITABLE

Malgré les défis, la table ronde a révélé une dynamique encourageante. Le tourisme équitable, bien que marginal, démontre qu’il peut être une alternative crédible au modèle touristique conventionnel. Pour les professionnels du secteur, il est désormais crucial de transformer ces discussions en actions concrètes, afin de construire un tourisme plus juste et durable pour tous.

> Télécharger le programme des Dialogues 2024 

> A propos de l’ATES 

    L’ATES bénéficie du soutien financier de l’Agence Française de Développement