A propos…
Nous avons posé 12 questions à Adrien Ruffino, le fondateur de Soliderrance, une agence de voyages régénératifs, qui a rejoint notre réseau en 2022, en tant que membre associé-porteur de projet.
Peux-tu nous présenter ta structure et les types de voyages que tu proposes ? Qu’est-ce qui distingue ton approche ?
Adrien : Soliderrance est une agence de voyages que je qualifie de solidaires et régénératifs.
La vision de l’agence est : « voyageons chez celles et ceux qui prennent soin de la Terre et des Gens pour une vie durable et en paix ».
Cette vision est déclinée en 3 missions :
1. Créer des expériences uniques et authentiques en immersion chez des familles du territoire qui recoit ces voyageur-euses ;
2. Accompagner la permanence des projets de ces familles générant des revenus liés au tourisme ;
3. Impacter positivement autant les voyageur-euses que les communautés et territoires qui les reçoivent.
Cette Vision d’entreprise et ses 3 missions résument bien l’intention de proposer des expériences de partage et de découverte de nouvelles formes de vie à travers le voyage.
Pour m’assurer que ces voyages soient le plus solidaires et régénératifs possible j’ai défini des critères de sélection de ces hôtes et de leur territoire. Ces critères sont au nombre de 4 :
- Le tourisme n’est pas leur principale activité et s’ il génère la majeure partie des revenu il soutient un projet de conservation, reforestation, éducation…
- L’environnement dans le lequel va séjourner le/la voyageur-euse respecte le plus possible l’ensemble des êtres-vivants et les écosystèmes en s’appuyant sur les valeurs et techniques de la permaculture : bioconstruction, respect des cycles de l’eau (biofiltre, toilettes sèches…), énergie solaire, alimentation saine et locale, économie circulaire et emploi des communautés locales
- Les familles ont l’intention et les habiletés pour partager avec les voyageurs leur forme de vie et leurs connaissances.
- Les lieux et familles assurent aux voyageurs bien-être et sécurité
Enfin et parce qu’ils sont au centre de tout : les voyageurs. J’espère et attends d’eux qu’ils soient :
- conscients de leur impact
- raisonnables dans leurs consommations et exigences
- curieux de découvrir sans préjugés
- avec l’intention de faire partie de, participer à…
Je considère que si l’ensemble de ces éléments sont réunis alors Soliderrance réussi ces missions et sa vision.
Comment définis-tu le tourisme régénératif et en quoi diffère-t-il du tourisme durable ou traditionnel selon toi ?
Adrien : Démarrons par définir le verbe régénérer. Selon le Larousse « régénérer c’est ramener à une état antérieur jugé supérieur. Ses synonymes sont : restaurer, rénover, revitaliser. »
La différence entre le tourisme durable et le tourisme régénératif est que le premier consiste à tenter d’impacter le moins possible quand le second tente d’impacter positivement. Une phrase célèbre de Ana Pollock propose qu’à travers le tourisme régénératif les voyageurs puissent quitter le territoire visité dans un meilleur état que lorsqu’ils sont arrivés. Evidemment il est difficile de prendre ce concept au pied de la lettre mais l’idée demeure bien là.
Une autre différence majeure entre le tourisme durable et le tourisme régénératif est que le tourisme durable se concentre principalement sur l’aspect environnemental et écologique. Le régénératif propose que l’humain et les émotions fassent tout autant partis de l’équation.
La prise de conscience de la nécessitée du « durable » est le résultat du diagnostic : notre planète se dégrade, nous consommons plus que les ressources disponibles etc etc… Mais… et si c’était ce « nous », les êtres humains que nous sommes, qui devrions d’abord profondément nous régénérer ? D’abord individuellement et ensuite collectivement. Le tourisme régénératif propose donc aussi, et peut être d’abord, d’impacter positivement le voyageur lui-même. Il lui propose de prendre soin de lui, se revitaliser au vu de tout ce capital « vital » que nous perdons tous les jours dans notre quotidien.
Quels sont les effets transformateurs que tu observes chez les voyageurs qui participent à tes expériences ? Comment ces voyages modifient-ils leur relation à la nature, à eux-mêmes et aux autres ?
Adrien : Voilà, le mot est posé ! Transformation. En effet j’ai observé de véritables transformations chez certains des voyageurs. Surtout voyageuses d’ailleurs vu que 80% des voyageurs de Soliderrance sont des femmes. Je dis toujours que mon intention est de semer des petites graines. Certaines trouvent un terrain très fertile avec des évolutions notoires de l’énergie et du moral de la voyageuse durant le circuit. D’autres graines prennent plus de temps mais l’expérience a été vécue et elle fera son chemin. Je suis ravi de dire qu’à leur retour en France certaines voyageuses ont pris des décisions importantes dans leur vie. Elles ont retrouvé ou renforcé leur confiance en elles.
Certaines immersions que Soliderrance propose sont transformatrices de facto notamment quand nous passons 3 nuits en communauté indigène et que nous vivons à leur rythme à 3h de marche du 1er village. Mais au-delà du lieu ceux sont surtout les conversations et les réflexions qui sont engendré par le territoire et la communauté (indigène ou pas) qui les reçoivent.
Qu’est-ce que tu veux partager avec tes voyageurs ?
Adrien : J’aime à décrire mes voyageurs comme des voyageurs raisonnables, curieux, conscients et participatifs. L’essence même du concept de Soliderrance c’est le partage, l’immersion, la découverte d’une forme de vie qui prend soin de la Terre et des Gens. Soliderrance c’est bien souvent une expérience durant laquelle on apprend, on découvre, on participe à la vie de familles qui ne font pas du tourisme leur principale activité. Eux ils conservent, reforestent, éduquent, prennent soin de leur communauté et de leur territoire. J’aime savoir que je sème une petit graine dans la tête de mes voyageurs et qu’ils reviendront différents… je dirais même régénérés !
Peux-tu nous expliquer en quoi la rencontre avec les communautés locales est au cœur de tes offres touristiques ? Comment fais-tu en sorte que ces interactions soient mutuellement bénéfiques ?
Adrien : Si nous nous référons aux 4 critères de sélection des hôtes nous voyons bien qu’en effet la communauté locale est au cœur de l’expérience. Chaque famille chez qui les voyageurs séjournent font partie d’une communauté, quelle qu’elle soit. Passer du temps avec eux le temps d’un atelier, dans la cuisine ou au coin du feu assurent des moments de partages inoubliables. Autant pour les hôtes que pour les voyageurs car nous apprenons tous les uns des autres.
Comment les voyages proposés par Soliderrance contribuent-ils concrètement à la régénération des territoires que tu proposes de visiter, à la fois au niveau environnemental et communautaire ?
Adrien : D’abord de par les activités qui sont proposés. A chaque séjour le voyageur se voit mettre les mains dans la terre à une ou plusieurs reprises. Selon la famille visitée ils découvriront l’agroécologie sintropique (technique agricole qui permet de régénérer les sols tout en profitant de leur abondantes récoltes), ils reforesteront des mangroves, participeront à des balades pour planter des arbres etc…
Mais aussi parce qu’ils contribuent économiquement à la permanence des projets de conservation et régénération de ces mêmes familles. Visiter et séjourner chez une famille qui conserve 500 hectares de forêt aux portes de l’Amazonie grâce à leur fondation et leur assurer des revenus pour qu’ils continuent à le faire, c’est aussi assurer la régénération naturelle de ces forêts préservées de toute intervention.
Comment intègres-tu l’approche holistique dans tes expériences de voyage ? Quels aspects spécifiques de la nature et des écosystèmes privilégies-tu pour créer une connexion profonde avec le vivant ?
Adrien : Les expériences deviennent de facto holistiques parce que les hôtes le sont. Je les ai sélectionnés sur ces critères-là. Par exemple le logement. Tous les logements proposés dans les familles sont éco-construits. C’est-à-dire principalement en matière naturelle et le plus local possible. Les eaux grises et noires (si les toilettes ne sont pas sèches) sont évacuées par phyto épuration et alimentent généralement les espaces verts. L’alimentation est saine et locale. Pour prendre soin de la Terre et de ses Gens on se doit d’être le plus cohérent possible et cela passe par l’ensemble de ces piliers fondamentaux : un habitat sain et respectueux de l’environnement, une alimentation qui nous fait du bien, des sources d’énergie optimisées. Les voyageurs partagent des instants avec des familles pour qui le prendre soin de soi et de son territoire est une philosophie de vie. Pas un argument ou une opportunité commerciale ou marketing.
Penses-tu que le tourisme régénératif peut jouer un rôle clé dans la transformation des mentalités des voyageurs à long terme ? Si oui, comment ?
Adrien: Oui ! Evidemment ! Et c’est modestement, un peu mon intention. Semer des graines, comme je l’ai évoqué un peu plus tôt. Expérimenter, ressentir, faire, participer sont indispensables pour nous transformer. Avec Soliderrance les voyageurs sont au cœur de cette expérience holistique d’une forme de vie qui prend soin. Et chaque graine a son rythme. Mais un petit quelque chose naîtra de ces expériences et sont déjà née pour certains voyageurs.
Quel que soit le mot ou le concept, avec Soliderrance je tente de créer les conditions pour impulser des prises de conscience à travers l’expérience.
Quels sont les principaux défis auxquels tu fais face pour proposer des expériences de tourisme régénératif, et comment les surmontes-tu ?
Adrien : Tout dépend de la définition et du cadre que l’on donne au concept de tourisme régénératif. Je considère qu’en étant rigoureux sur les critères de sélection des familles avec lesquelles je travaille alors je me rapproche de ce qui me semble être le plus régénératif possible. Mais comme pour tout, les expériences de Soliderrance peuvent être moins régénératives que l’un ou plus que l’autre.
Je ne suis pas partisan de la codification, des cadres, des mesures, des évaluations concernant le concept de la régénération. Je préfère laisser ça au « durable ». Si le régénératif se veut être basé sur un changement profond de paradigme alors ne réitérons pas ce qui n’a pas marché avec le « durable ».
Au-delà de ces élément le seul et unique défi est la cohérence face à l’opportunité. Je fais de mon mieux. Il arrive qu’un circuit ne soit pas au rdv de ce que je recherche mais qu’il soit important pour la survie économique de ma petite entreprise. En conscience je fais le choix de ne pas être si régénératif mais opportuniste. Cependant il y a toujours au moins une famille Soliderrance par séjour qui est visité par le voyageur.
Quels sont, selon toi, les liens entre la vision du tourisme régénératif et les critères du tourisme équitable ? Comment concilies-tu ces deux approches dans tes offres ?
Adrien : Tourisme régénératif, équitable, solidaire, durable, responsable… sont des concepts. On ne peut pas être régénératif sans d’abord être conscient, puis responsable, puis durable, puis équitable, solidaire, communautaire… A mon sens les 2 offres marchent main dans la main.
L’expérience émotionnelle est souvent décrite comme centrale dans le tourisme régénératif. Comment veilles-tu à ce que chaque voyageur puisse vivre une véritable reconnexion avec la nature et avec lui-même lors de ses séjours ?
Adrien : Je crée les conditions qui, selon moi, semblent les plus favorable: le territoire, l’espace, les familles qui les reçoivent et les activités qui sont proposés.
Et puis, et surtout, toute la magie qui se crée en off de tout ça. Les moments de partage dans la cuisine, la conversation au coin du feu, la petite phrase anodine mais qui va impacter fortement le voyageur… Et tout ça n’a rien d’exclusif au régénératif. C’est ce qui se passe quand on voyage (à la différence de lorsqu’on fait du tourisme)
L’émotionnel, le ressenti, l’énergie sont centraux dans l’expérience des voyages régénératifs. Mais ça ne se contrôle pas, ça ne se décide pas. Ça se crée, ça vient naturellement. Si les voyageurs ont décidé de voyager en conscience et connaissance de cause avec Soliderrance alors cette magie s’opérera.
Quelles sont les actualités de ta structure en ce moment ? As-tu des projets ou de nouvelles destinations en préparation que tu aimerais partager avec nous ?
Adrien: 2024 a vu naitre une nouvelle offre : la Casamance sénégalaise. J’en suis ravi car c’est un retour aux sources pour ce qui a été la naissance de Soliderrance par l’association de mon père.
En termes d’offre le projet 2025 est celui de proposer des séjours régénératifs au sein d’écovillages dans le monde. J’ai signé une alliance stratégique en milieu d’année 2024 avec l’ONG Global Ecovillage Network. Ils me donnent accès à leur réseau mondial d’écovillages avec qui je suis en train de monter des séjours d’une semaine basés sur une activité spécifique de régénération. A venir donc en 2025 des « Vacances qui Régénèrent » en écovillage et dans le monde. Tout un programme !
Quels sont les grands objectifs que tu vises pour l’avenir de ton activité, notamment en termes d’impact sur les territoires et les communautés que tu soutiens ?
Adrien : D’abord et en premier lieu je vise la stabilité financière et que 2025 soit enfin une année saine qui génère du résultat. Car si je veux impacter les territoires et les communautés comme je le fais il faut que je sois le plus pérenne possible.
Mais au-delà de cet aspect purement interne et financier, bien sûr que l’intention est de continuer à générer des ressources aux familles avec qui je travaille pour qu’elles continuent leur labeur de conservation, éducation et du prendre soin dans son ensemble.
Je souhaite aussi impacter un maximum de voyageurs et notamment des familles qui pourraient transmettre à leurs enfants dès leur plus jeune âge une forme de voyager en conscience, participant à la régénération du territoire qu’ils visitent et que, ce faisant, ils puissent eux même vivre une profonde transformation.
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