Le tourisme équitable, solidaire et communautaire se trouve au cœur de tensions importantes entre deux visions fondamentalement opposées.
D’un côté, les communautés locales et organisations touristiques de l’économie sociale et solidaire voient en cette forme de tourisme une alternative à l’exploitation et un outil d’émancipation face aux abus engendrés par le marché touristique globalisé ;
De l’autre, les entreprises du secteur touristique conventionnel s’approprient les termes « tourisme solidaire », pour désigner une gamme d’offres qui répond au désir de sens des voyageurs, tout en restant des produits de consommation classiques. Souvent, ces offres soi-disant solidaires correspondent à des pratiques trompeuses ou mal adaptées.
Une définition contestée : qu’est-ce que le tourisme communautaire ?
Le tourisme communautaire (lien vers définition tourisme communautaire), historiquement ancré dans l’économie sociale et solidaire (lien vers articles ESS), repose sur une gestion collective de l’accueil des touristes par les habitantes et les habitants eux-mêmes. Il a pour ambition de renforcer le pouvoir d’agir des communautés locales tout en protégeant leurs territoires. Cependant, cette définition originelle est aujourd’hui fragilisée. Le secteur touristique conventionnel a détourné le concept pour créer des offres d’ethnotourisme ou d’écotourisme (lien vers article sur l’écotourisme) mettant en avant une « authenticité » souvent déconnectée des objectifs communautaires. Parfois, cela s’accompagne de formes de volontourisme (lien) présentées comme des “actions solidaires”, mais qui ne font que renforcer des rapports de domination et d’inégalité.
Ce détournement n’est pas anodin. Il illustre une tendance globale du capitalisme contemporain à absorber et redéfinir des concepts issus de luttes sociales pour mieux les commercialiser.
Quand le tourisme solidaire devient un produit commercial
Le tourisme communautaire, solidaire ou équitable est souvent vendu comme une “expérience unique” ou une aventure “hors des sentiers battus”. Pourtant, cette valorisation marketing ne sert que rarement les communautés locales. Dans les années 1980, les pratiques alternatives du tourisme « chez l’habitant » étaient marginales et allaient à contrecourant de la demande touristique dominante : les voyageurs de l’époque cherchant plutôt à « collectionner » les grandes attractions touristiques jugées « incontournables ». Avec le temps, et notamment l’essor des réseaux sociaux, les attentes des consommateurs et des consommatrices ont évolué. Aujourd’hui, l’authenticité, la singularité et la différenciation sociale sont devenues des atouts commerciaux majeurs. Cela a entraîné d’une part le succès commercial des offres basées sur la rencontre avec les communautés locales, mais aussi une standardisation de nombreuses offres basées sur la rencontre avec les habitant·e·s.
Au Mexique, par exemple, des communautés du Yucatán ont dû se réapproprier les produits touristiques “mayas”. Ces offres, initialement créées par des agences de voyage ou des investisseurs internationaux, ont été retravaillées pour refléter la vision des communautés locales. Cependant, les rapports de pouvoir restent déséquilibrés. Les voyagistes du tourisme équitable interviennent alors comme des alliés essentiels, soutenant les initiatives locales et assurant un accès au marché dans le respect des critères du commerce équitable.
La loi Climat et résilience : un cadre juridique à concrétiser
En France, la loi Climat et résilience adoptée en 2021 vise se à encadrer les allégations de commerce équitable
Elle réserve l’usage de ces termes aux produits certifiés par des labels de commerce équitable reconnus par l’État. Toutefois, le décret d’application n’a toujours pas été publié, créant un vide juridique. Ce flou permet à n’importe quelle agence de voyages de proposer des offres présentées comme “solidaires” ou “équitables” sans respecter les critères de l’économie sociale et solidaire ou du commerce équitable.
Par ailleurs, malgré les critiques unanimes contre le “volontourisme” — formulées par leschercheur·se·s, les ONG et les institutions publiques comme France Volontaires —, certaines agences continuent de proposer des séjours humanitaires, ou des activités dites “solidaires” dans des voyages classiques. Cela nuit gravement aux acteur·rice·s qui s’engagent réellement dans un tourisme éthique. Malgré un cadre juridique clair, en l’absence d’application de la Loi, ces derniers voient leurs efforts de différenciation dilués dans un marché où le greenwashing est monnaie courante. Les consommateurs eux-mêmes, mal informés, peuvent être induits en erreur et se tourner vers des offres qui ne respectent pas les principes fondamentaux du commerce équitable.
Le Label Tourisme équitable : un outil contre le greenwashing
Face à ces défis, le Label Tourisme équitable, porté par l’Association pour le Tourisme Équitable et Solidaire, est une réponse essentielle. Ce label est reconnu par les principales organisations et fédérations françaises et internationales de commerce équitable, ce qui lui confère une crédibilité incontestable.
Contrairement aux simples allégations commerciales, ce label exigeant garantit le respect des critères exigeants en matière d’équité, de solidarité et de durabilité. En mettant l’accent sur l’économie sociale et solidaire, le soutien aux initiatives locales et la protection des territoires, le Label Tourisme équitable reste fidèle à l’esprit originel du tourisme solidaire : un tourisme émancipateur, porteur de valeurs, et basé sur l’égalité et la réciprocité entre les voyagistes, leurs partenaires et les voyageurs !
Réapproprier les mots et les pratiques
Le combat pour un tourisme solidaire ne se limite pas à des questions réglementaires. Il passe aussi par une vigilance accrue sur l’usage des mots. Les termes « communautaire », « éthique », « solidaire » ou « équitable » ne devraient pas devenir des outils marketing déconnectés de leurs valeurs initiales.
Les acteurs et actrices du tourisme équitable et solidaire doivent continuer de porter un discours clair en s’appuyant sur le Label Tourisme Equitable pour réaffirmer leurs engagements. Les communautés locales jouent également un rôle central. En développant des alliances stratégiques et en se réappropriant leurs narratifs, elles peuvent défendre une vision du tourisme qui va au-delà de la simple logique marchande.
Conclusion
En France, l’application d’un cadre réglementaire clair est cruciale pour protéger les pratiques authentiques et garantir leur visibilité. Mais au-delà des réglementations, il s’agit d’un combat militant pour défendre les initiatives et les droits des communautés locales, résister aux logiques d’exploitation marchandes et promouvoir un modèle de tourisme vraiment solidaire.
Pour aller plus loin, visionnez le webinaire Alba Sud : Turismo comunitario: desafíos y resistencias